mardi 11 décembre 2007

Le viol des femmes en RD Congo interpelle les Artisans de la Paix

Sale guerre contre les femmes au Kivu

Enlevées, violées, battues, tuées, en fuite... Les miliciens hutus ne se contentent pas d'occuper les terres et d'extraire les minerais, ils s'attaquent aux femmes, pilier de la société.

Cachée dans une petite maison aux murs de terre battue quelque part à Walungu, Laurence [nom d'emprunt], 18 ans, parle en baissant les yeux. Une femme au visage ridé fait sauter sur ses genoux un bébé dont les autres mamans se détournent. «Il est rejeté par tout le monde, dit Laurence, car on sait que c'est l'enfant du viol, que son père était un assassin.»

Elle-même, on l'appelle «sida», «putain des Interhahamwe». Dans son village, on la tient pour responsable de la mort des 17 personnes de sa famille qui ont été massacrées en guise de représailles, lorsqu'elle a réussi à fuir la forêt après huit mois de captivité. «Ma sœur Byeka, l'enfant de ma cousine, que l'on appelait Merci, mon oncle, sa femme et ses deux enfants, ma grand-mère... Tous ont été tués, à ma place...» Laurence tremble sous son bonnet de laine rouge: «Même ici, ils me cherchent, ils veulent savoir où est le bébé, ils tiennent beaucoup aux garçons.»

Le cauchemar a commencé à Kaniola le 14 avril 2006: «Soudain, ils sont arrivés: des types bien armés, qui parlaient kinyarwanda, et portaient des sortes de tresses, ils se faisaient appeler Rastas. De force, ils nous ont tirées vers la forêt. Dans un campement d'une trentaine de personnes, j'ai reconnu d'autres filles du village, des jeunes de 14 ans, prisonnières elles aussi. Ils ont brûlé nos habits en disant qu'il y avait des «sorcelleries» dedans et nous ont donné des trainings rouges. Celui qui m'a fait sortir de la maison a dit que je lui appartenais. Je ne connais que l'un de ses surnoms, Shetani, Satan... Si je le regardais en face, il me battait.

Le matin de notre arrivée, une de mes compagnes a été jugée trop noire, trop laide, personne n'en voulait et ils l'ont abattue sur-le-champ. Comme des esclaves, il nous fallait chercher de l'eau, porter des fagots de bois, faire la cuisine. Et être violée, à tout moment, par mon propriétaire et par les autres. Quand j'ai vu que j'étais enceinte, je ne voulais plus bouger. L'homme m'a alors montré un enclos plein de crânes et m'a promis de finir là si je désobéissais.»

Un jour, Laurence a joué le tout pour le tout, fuyant à travers la forêt. «Au village, mes parents m'ont crié de partir tout de suite, ils craignaient d'être punis. J'ai fui jusqu'à Walungu, où j'ai appris le massacre de ma famille...» "

Serrées dans une petite cour, loin de la grand-route, une trentaine de jeunes femmes, dont beaucoup sont enceintes ou accompagnées d'un bébé, vivent comme Laurence, dans la peur d'être reprises par leurs bourreaux, ne sachant où aller car personne ne veut d'elles. Même à Bukavu, ces femmes ne sont pas en sécurité: dans un dortoir, nous retrouvons quatre autres rescapées de Kaniola. L'une d'entre elles, qui s'était aventurée dans la ville, a failli être tuée par le conducteur d'une «moto-taxi» qui l'avait reconnue: «Les Interhahamwe de la forêt ont des indicateurs en ville, souvent des moto-taxis, ils cherchent à savoir où sont les enfants et veulent tuer celles qui ont fui, qui pourraient les dénoncer.»

Didi [nom d'emprunt] a tellement peur qu'elle n'ose plus quitter sa couchette: «Alors que je m'enfuyais dans la forêt, j'ai rencontré des militaires. Ils m'ont attrapée et obligée à dénoncer le campement des Rwandais. Après la bataille, les soldats m'ont ramenée à Bukavu. Par la suite, 28 personnes ont été tuées dans mon village, pour leur faire payer ma «trahison».

Kaniola, le village d'origine de ces filles perdues, se trouve tout au bout de la piste qui mène à la grande forêt tropicale, près du parc de Kahuzi Biega, repaire de tous les groupes armés de la région. A la sortie de Walungu, nous avons dépassé le camp de la Monuc, la Mission des Nations unies au Congo, ses tentes blanches, ses blindés, ses Casques bleus pakistanais considérés comme des sortes d'extraterrestres et qui n'ont jamais sauvé personne.

Au loin, on aperçoit des champs vides, où les femmes n'osent plus se rendre, de crainte d'être enlevées. A tout moment, le silence est troublé par les vrombissements des petits porteurs qui plongent vers les pistes de brousse pour emporter vers le Rwanda les minerais, coltan et cassitérite, déterrés par les creuseurs.

Le chef de groupement, Deogratias Kabika, sort son cahier d'écolier, soigneusement tenu à jour: en 2004, il a compté 236 maisons brûlées, 227 villageois tués, 2000 cas de femmes violées ou emmenées comme esclaves domestiques ou sexuelles. Depuis lors, le bilan s'élève à 617 tués...

Les forces armées congolaises ont désormais un campement à Kaniola, et elles osent se rendre dans la forêt pour combattre. Mais Deogratias constate qu'«en face», on a changé de tactique et il exhibe le tract qu'il vient de recevoir: «Comme ils ont eu des pertes, ils menacent de revenir pour tuer. Ils ont aussi besoin d'argent: ils nous réclament 2000 dollars pour nous rendre cinq femmes enlevées.»

Tous les hameaux de la région sont vides, leurs habitants se sont repliés à Kaniola, sous la protection des militaires. Dans une salle de classe aux murs pelés, des dizaines de paysans nous décrivent leur détresse: la vieille M. a renoncé à cultiver, car ils volaient son manioc dès qu'il avait poussé; Bernadette M. qui vivait près de Ninja a fui après qu'en février 2007 sept hommes armés ont, sous ses yeux, brûlé son père et sa mère; Bahati a fui en juillet 2006, après que des assaillants ont enlevé sous ses yeux sept personnes, dont sa plus jeune fille; Isabelle raconte qu'en une nuit les assaillants ont égorgé 14 personnes...

Plus aucun d'entre eux n'oserait retourner dans sa maison: «Ils ont récolté notre manioc, nos haricots, nos patates douces, emmené nos vaches. Parfois ils ont pris nos terres et commencé à les cultiver. A Ninja, ils ont déjà commencé à planter des palmiers, preuve qu'ils veulent rester longtemps...»

A l'orée du village, Pierre Byamungu, un pharmacien de Bukavu, a ouvert un petit centre où il accueille des femmes en détresse et une vingtaine d'orphelins, pour la plupart issus de viols dans la forêt. Les gosses jouent dans la poussière et rigolent. Un petit de 3 ans se précipite, solennel, pour nous serrer la main, sous les applaudissements des autres, «il a vu passer tant de délégations, dit Pierre, qu'il les imite et que tout le monde l'appelle «député». L'ennui, c'est que rien ne change...»

Le commandant Adrien, lui, n'y comprend rien. Adjoint du colonel Kahasha, dit Foca Mike, à la tête de la 14e Brigade intégrée, ses hommes et lui entendent protéger la population et ne craignent pas de se rendre dans la forêt pour y poursuivre les assaillants. «Nous nous battons, nous leur infligeons des pertes... La dernière fois, nous savions que le groupe de Rastas avait été réduit à huit hommes. Plus tard, nous avons constaté que leur nombre était remonté à 17. Autrement dit, ils ont reçu des renforts...»

Nzibira, le major Antoine, qui commande le 112e Bataillon intégré, se pose les mêmes questions. Lui, il se sent encerclé: «Toutes les collines autour de ma position sont contrôlées par les Hutus des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), ils ont chassé ou tué les chefs coutumiers. D'ici à Shabunda, ils ont installé 11 barrières, chaque fois, il faut payer 2 dollars pour faire passer une vache. Dans leur zone, ils ont établi une administration, des registres d'état civil et enregistrent même des mariages. Nous ne pouvons pas les attaquer, car en principe les FDLR sont des réfugiés politiques, et la communauté internationale les protège. D'ailleurs, la Monuc les rencontre souvent pour des réunions et on nous dit qu'ils reçoivent même des vivres...»

Les officiers congolais ont identifié deux catégories de Rwandais: les FDLR (représentés en Europe et qui exigent un dialogue politique avec Kigali) et les «Rastas», des groupes armés hétéroclites où se retrouvent des auteurs du génocide de 1994, des jeunes nés en exil et des bandits de tout acabit. Sur le terrain, cette distinction apparaît bien subtile: tous ces gens parlent le kinyarwanda et il est vraisemblable que ces divers groupes s'interpénètrent. Les militaires congolais se demandent aussi si les atrocités commises par les Rastas (généralement à la veille d'une visite importante ou d'une négociation internationale) ne sont pas téléguidées dans le but de discréditer les FDLR et de torpiller toute négociation politique. Le commandant Adrien, lui, se souvient que, en avril 2004, «nous avions capturé un certain Chibungo, qui fut remis à la Monuc et ramené au Rwanda. Nous venons de le retrouver ici, à la tête d'un groupe de Rastas...»

Depuis 1994, les populations du Kivu paient le prix du génocide au Rwanda: leurs terres ont été occupées par les réfugiés hutus, leurs ressources naturelles pillées. Les Kivutiens ont vécu la guerre, l'occupation, la violence des groupes armés, Laurent Nkunda et ses soldats tutsis (et hutus) au Nord-Kivu, mais aussi les miliciens hutus, rêvant toujours d'une revanche sur Kigali.

Dans l'est du Congo, le corps des femmes est devenu un autre champ de bataille: les hommes en armes violent, torturent, mutilent. Ils font éclater les vagins avec des bâtons, cassent des fillettes impubères, enlèvent des adolescentes pour les engrosser. Par centaines, des femmes désormais rejetées par leur milieu se retrouvent à l'hôpital de Panzi, à Bukavu. Leur système utérin brisé, les urines s'écoulent sans contrôle et, dans l'attente d'une opération, elles circulent un sachet de plastique sous la jupe... La RTBF leur a apporté un peu de réconfort, voire de rêve: des caisses de savons, des produits d'hygiène, des pagnes et des casseroles, dons privés envoyés à Bukavu à la suite d'un reportage de Maryse Jacob et Philippe Vanderbeck, avec le soutien de la coopération belge.

Godelieve, 34 ans, a été jetée dans le feu, après avoir été violée. Les doigts d'une main ont éclaté sous les brûlures, l'autre bras a dû être amputé à cause de la gangrène. Le mari a rejeté une épouse abîmée, violentée. Cette femme qui a atteint le fond de l'horreur ne peut cependant s'empêcher d'espérer: «Lorsque je serai réparée, peut-être que mon mari me reprendra... Grâce aux cadeaux venus de Belgique, je serai propre et parfumée»...


Colette Braeckman, envoyée spéciale à Walungu, Kaniola et Nzibira (Sud-Kivu, RDC Congo)Mardi 25 septembre 2007,

citée par http://www.donato-africayetu.blogspot.com

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